Les Adultes

Pensez-vous qu’un homme qui n’aurait rien à se reprocher, ou rien vécu de particulier pour être directeur d’un centre de redressement ? Mon avis est le suivant : Non. Ou alors c’est un homme riche qui à force de ne rien faire finit par s’ennuyer et créer un centre de redressement où il mettra un patron. Enfin, peu importe, Joan, lui, n’est pas comme ça et ne l’a jamais été. Tout d’abord, il n’est pas riche. Il est né dans une famille de catégorie modeste et sans prétention. Il naquit prématurément, à 7 mois et demi de grossesse. Sa structure était plus petite, et il se développa ainsi beaucoup moins vite. Le fait qu’il soit plus petit et moins fort que les autres était bien sûr un énorme défaut. Il habitait dans la banlieue du Havre, où il resta une grande partie de sa vie, partit ailleurs et revint. Enfin, nous n’en sommes pas là. Il allait dans une petite école de périphérique. Elle était bien, les élèves y étaient choyés, la cantine était bonne, etc. D’accord, ces cas-là n’existent que dans les films, et tout cela n’était que les rumeurs qui flottaient au-dessus de l’établissement. En réalité, les professeurs fermaient les yeux sur toutes les atrocités qu’un groupe de jeunes garçons faisait aux autres. Bien sûr, ce groupe qui semait la terreur s’attaquait aux plus faibles, et n’allait pas voir plus grand qu’eux. Le jeune Joan était une cible parfaite, et fut visé dès le mi-CE1. Oh, évidemment, en primaire, ça n’allait pas bien loin. Ils le prenaient à part pour lui lancer des paroles détestables, l’attrapaient et le fourraient de la corbeille, avant de poser le tout sur le bureau du professeur qui se contentait de sortir le gamin de la poubelle et de se taire. On aurait dit que le professeur était l’élève et les élèves les professeurs. C’était carrément affolant. Ensuite vint l’époque du collège, et tout empira. Les professeurs étaient plus sévères, et le groupe avait évolué. Il était plus discret, et lorsque le professeur voyait Joan sur son bureau, allongé, il n’aimait pas, et c’était lui qui était puni. Au fur et à mesure, les bêtises évoluèrent aussi. Ils le frappèrent, et il ne disait jamais rien à ses parents, trouvant une raison. Il passa au lycée, et ça continua. Il endurait tout, se taisant. Un jour, il avait 17 ans, il n’y avait que deux gars de la bande. Vous vous dites que c’était mieux pour Joan, mais non. Habituellement, c’était le chef du groupe qui les arrêtait avant qu’ils le tuent. Sauf que là, c’était deux des plus hystériques, et il n’y avait pratiquement aucune chance pour qu’ils se calment. Il eut beaucoup plus mal que d’habitude, et fut un moment projeté centre une poubelle qui tomba sur lui. Un couteau à viande sans manche atterrit à deux mètres de lui et c’est dans un excès d’instinct de survie qu’il bondit malgré ses muscles endoloris pour braquer son couteau vers les assaillants. A présent, c’était eux qui étaient bloqués, et ils le savaient. Les yeux du jeune Gregor reflétaient la haine. Il sauta, empli de rage, et en égorgea un. L’autre était terrorisé, et sans attendre, Joan le tua à son tour. Sa main était en sang, blessée par les bords de la lame, mais peu importait. Il les avait tués. Lorsqu’il s’aperçut de sa grave erreur, il tomba à genoux, observant l’horrible spectacle. Il fallait qu’il parte, et vite. Il sortit de la ruelle, le couteau à la main et le visage amoché. Il courut sans pause jusqu’à arriver chez lui. Ses pauvres parents travaillaient. En vitesse, il sortit sa clé, complètement paniqué, et ouvrit. Il prépara ses affaires, au moins lourd possible, et piqua à contrecœur de l’argent à son père. Il avait peur que la police fasse un quelconque rapprochement avec lui. Il écrivit rapidement un mot les informant qu’il partait car il avait fait une grosse erreur. Il repartit et alla à Paris en train. Ce n’est qu’une fois à la capitale qu’il s’aperçut que la lame était dans sa chambre. Il se maudit, mais oublia vite ça, refaisant sa vie dans la grande ville. A ses 18 ans, il eut une surprise. Les policiers l’avaient retrouvé. Ils l’embarquèrent, et il fut jugé. C’est là qu’il expliqua tout, depuis son année de CE1 jusqu’à la fin de la première, sous les regards effarés de ses parents. C’était humiliant et vexant, mais il affronta ça. Il avait déjà tant supporté, c’était simple. L’humiliation était devenue son amie, ou plutôt une ennemie qui n’acceptait pas de le laisser tranquille. Le juge s’arrangea avec les parents pour que Gregor soit envoyé dans un centre de redressement. Ce qui se passa. C’est là-bas qu’il décida de construire son propre centre. Ils étaient maltraités, frappés et humiliés aussi à longueur de journée. Il voulait que certains adolescents réticents ne connaissent pas une peine aussi profonde. Son passage au centre resta comme une cicatrice. Peu de temps après, il avait mit sur pied son fameux projet, et quelques années plus tard, en 2000, le 1er Janvier 2000, eut lieu l’inauguration du Ducker Center. Son rêve était là, devant lui, lui ouvrant les bras. Sauf qu’il s’aperçut que ses gardes traitaient mal ses pensionnaires. Il laissa faire, plongeant dans une déprime étrange. Il avait l’impression de devenir fou. Peut-être l’était-il ?